Les Saisonniers
Une
saison en enfer Par PAULINE GRAULLE Politis – 10 juillet 2008 Perchistes en hiver, plagistes l'été, les travailleurs saisonniers seraient
entre un et deux millions.
Ils sont pourtant les grands invisibles d'une société bien décidée à oublier ses soucis de boulot en
vacances au bord d'une mer d'huile. « On n'a pas de chiffres très précis ni une bonne connaissance de ce type de travail, regrette Antoine Fatiga, responsable CGT des saisonniers. Ce sont des emplois très précaires, peu pris en
compte par les
organisations
syndicales et par le gouvernement. Et la tendance est de tirer tout le monde vers le bas » Ainsi, en 2006, la CJl)T, la CGC, la CFTC et les organisations
patronales signaient
une convention remettant en cause le versement des allocations chômage pendant les périodes non travaillées.
Des mesures limitant à trois le nombre de périodes successives d'indemnisation. Ce
qui a déclenché, en mars dernier, des grèves
inédites dans les plus huppées des stations de ski. Àla fragilisation du statut des saisonniers, s'ajoute la dégradation des conditions de travail. Qu'ils soient animateurs ou serveurs,
caissiers ou plongeurs dans la restauration rapide, ramasseurs d'endives
ou femmes de ménage dans
un hôtel de luxe, ces intermittents de l'emploi pâtissent de rémunérations plus faibles et de mauvaises saisons (manque de neige, étés pluvieux...),
qui rendent le travail
toujours plus intense et la durée de cotisation moins longue... Les premières victimes de cette précarité
au long cours sont les travailleurs étrangers, débarqués d'Afrique du
Nord, du Portugal ou de Pologne pour travailler à la cueillette ou à
la récolte. «Dans de nombreux
endroits, la main-d'oeuvre manque parce que les conditions de travail sont trop dures,
indique Antoine
Fatiga. Les employeurs font donc pression sur les préfectures pour avoir la possibilité
de recruter au-delà des frontières. » Quitte à favoriser la généralisation de contrats contournant le droit commun
et qui permettent à l'État d'avoir « "le travailleur sans l'immigré" puisqu'on
le renvoie quatre mois au pays avant de
le reprendre l'année suivante », souligne le sociologue Richard Dethyre (1). Et de rapporter
l'histoire d'Aït Baloua, Marocain arrivé en France en 1982 avec l'un de ces fameux contrats OMI (de l'Office
des migrations internationales) pour travailler dans la récolte de pommes
(voir entretien ci-contre). Huit mois par an, «M. Baloua
accepte tout, les mois sans jour de repos, les heures supplémentaires non payées,
les salaires en dessous des minima ». Après plus de vingt ans de «misère» et d'«esclavage», il finit par traîner
le préfet des Bouches-du-Rhône devant le tribunal pour obtenir un titre
de séjour. Les jeunes, eux aussi peu rompus au
fonctionnement du code du travail, acceptent sans sourciller une pénibilité
forte sur une courte période. « Tous les ans, des employeurs profitent de leur mauvaise information, un job d'été étant souvent pour eux le
premier contact avec le monde professionnel », note Inès Minin, présidente de l'association Jeunesse
ouvrière chrétienne (JOC), qui vient de publier une étude sur «L'été
des jeunes (2)». L'enquête révèle également que 14 % des saisonniers
n'ont pas de contrat de travail. Et qu'un jeune sur quatre ne se verra
pas rémunérer ses heures supplémentaires. Aussi la JOC plaide-t-elle
pour le renforcement des moyens de l'inspection du travail pendant l'été
et pour la formation au droit du travail dès le lycée. Pas sûr que Xavier
Darcos l'entende de cette oreille... Car, si les abus
sont légion - surtout dans les secteurs peu
qualifiés -, les inspecteurs du travail manquent, les sanctions à l'encontre des employeurs restent trop peu
dissuasives et le
recours aux prud'hommes demeure exceptionnel
: «Seuls 5 à 10 % des saisonniers vont
en justice, affirme Antoine Fatiga. D'abord parce que le taux de syndicalisation est très faible, mais aussi parce que la justice n'est pas
adaptée à leur situation. Certains employeurs préfèrent frauder car ils savent qu'ils évoluent dans
une relative impunité. » Comme chaque année,
les syndicats seront donc présents dans les stations balnéaires et sur les sites touristiques pour faire
de la prévention auprès de ces populations
très peu syndiquées,
à l'aide de tracts, de pétitions et de guides d'information. Un bus
affrété par la CFDT est parti fin juin de Paris pour sillonner l'Hexagone
jusqu'à Briançon en longeant la Manche et la
côte Atlantique. La
CGT, elle, tiendra ses permanences habituelles. «1l faut être présent dans les maisons
des saisonniers quand elles existen4 sur les terrains de camping où ils logent... La prévention sur la plage, c'est pour le journal télé!», s'énerve René Valladon, membre du bureau
confédéral de Force ouvrière, qui concède une légère amélioration de
la prise en compte des difficultés de ces travailleurs par les municipalités. Reste que, pour
les saisonniers, l'automne s'annonce encore plus aride que l'été. En
effet, les mesures de la convention assurance chômage signée en 2006
auront de lourdes conséquences dès la rentrée 2008, laissant sur le carreau un nombre important de travailleurs qui ne percevront plus aucune indemnisation. Mais les vacanciers,
amassés sur les routes pour retourner à leur lot de tracas professionnels, seront alors très loin de ces préoccupations. PAULINE GRAULLE (1)Avec les saisonniers, Richard Dethyre, La Dispute, 2007. (2) http://wwwjoc.asso.fr |
Ils sont les piliers de l'agriculture Chaque année, les Bouches-du-Rhône accueillent 4000
ouvriers
agricoles saisonniers étrangers. Leurs conditions de travail sont inacceptables,
estime Louis Breton, du Codetras¢. Pourquoi a-t-on recours aux travailleurs
saisonniers étrangers dans l'agriculture? Louis Breton :
C'est grâce à eux qu'il existe encore
dans ce département une agriculture compétitive
dans le secteur des fruits et des légumes, mais les conditions dans lesquelles ils travaillent
sont scandaleuses. Ces travailleurs
immigrés sont les piliers de la culture intensive. Sous l'effet du libre-échange, certains
produits sont aujourd'hui disponibles toute l'année. Ils proviennent
d'Italie, du sud de l'Espagne et du Maroc, car, dans ces pays, le coût
de la main-d'oeuvre est moins élevé qu'en France. Et comme quelques
grandes centrales d'achat regroupent les seuls clients capables d'acquérir
la quasi-totalité de la production, la seule façon de rivaliser, pour
les exploitants locaux, est d'avoir accès à une main-d'oeuvre capable
de travailler du matin au soir par 50° C dans les serres, avec un revenu
en dessous du Smic et des heures supplémentaires non payées. Quand on
regarde les photos annuelles des travailleurs qui viennent depuis plus
de trente ans, ça fait un choc. On voit les gens s'user physiquement
d'an-née en année et
se ratatiner petit à petit. D'où provient cette main-d'oeuvre? Il n'y a que les
habitants des pays pauvres, et notamment du Maghreb, qui puissent accepter de travailler dans ces
conditions. Ils sont en quelque
sorte des esclaves volontaires. Leurs revenus français leur confèrent un pouvoir d'achat important dans leur
pays. Par exemple, 800 euros au Maroc correspondent à un pouvoir d'achat
de 2 400 euros, c'est-à-dire
celui d'un ingénieur Pour ces travailleurs, il y a un intérêt à subir ces conditions
dignes de l'esclavage. Duel est leur statut ? Le statut de saisonnier
stipule qu'un étranger peut venir travailler en France pour une durée maximale de six mois.
Une fois cette période achevée, il doit quitter le territoire. Qu'un
travailleur vienne vingt ans d'affilée en France
ne change rien en termes de droits : il doit à chaque fois repartir de zéro. De plus, il est attaché
au même employeur, ce qui le rend encore plus corvéable. Chaque année,
c'est l'employeur qui doit en effet redemander à l'administration l'autorisation
de faire venir le salarié. Cela permet un contrôle de la part de l'employeur,
qui ne renouvelle pas sa confiance à ceux qui se révoltent un peu ou
tombent malades. Cette situation est-elle légale ? Jusqu'à l'an passé,
la législation permettait à titre « exceptionnel » et par dérogation
d'allonger la période de travail de six à huit mois. Légalement, cette
situation devrait donc être rare. Mais, depuis vingt ans dans les Bouches-du-Rhône, on compte 4 000 saisonniers étrangers, dont 1
200 ont reçu l'aval de la préfecture pour prolonger leur période de
travail à huit mois. Or, dans l'agriculture,
il y a de toute façon une période d'inactivité. En restant huit mois,
ces travailleurs sont comme des travailleurs permanents, mais sans en
avoir le statut : pas d'assurance chômage ni de droit de revendication.
Ils font tout le boulot, mais on continue scandaleusement à les traiter
comme des saisonniers. Quand on parle de saison, on pense aux vendanges,
à des périodes de trois mois. Ici, c'est huit. Le terme de saisonnier
renvoie donc uniquement à un sous-statut. Comment expliquer ces abus ? Ce sous-statut
existe grâce au puissant lobbying de la FDSEA. Les préfets de France
ont peur des agriculteurs. Il n'y a pas d'autres explications au fait
que la préfecture des Bouches-du-Rhône ait contourné la loi pendant
trente ans. Au Codetras, nous proposons à ces ouvriers de jouer cartes
sur table en disant : « Je viens depuis vingt ans pour travailler
huit mois. Je respecte donc la législation et demande le renouvellement
de mon autorisation de travail comme travailleur permanent, ou qu'on
m'accorde
un titre de séjour de salarié au regard de ma situation exceptionnelle. » Depuis l'été dernier, 250 lettres
ont été envoyées au préfet. Aucun salarié n'a reçu de réponse, aucun
n'a pu déposer un dossier en sous-préfecture. L'absence de réponse étant
un refus implicite, les ouvriers ont exercé un recours devant le tribunal
administratif. Pour une trentaine de cas, les premiers, le tribunal
a ordonné la suspension de ce refus, la délivrance d'une autorisation
provisoire de séjour et de travail, ainsi que le versement de 1 000
euros par dossier. La préfecture a alors fait savoir au juge qu'à l'avenir
elle fournirait une autorisation provisoire de séjour aux travailleurs
immigrés qui contestaient son refus. Mais ceux qui se trouvent au Maroc
ne peuvent obtenir de visa pour revenir prendre possession de ce document
! Et, bien sûr, la préfecture ne veut rien faire pour que ces travailleurs puissent revenir en France
avec un statut de salarié
comme les autres. PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-BAPTISTE DUIOT *Collectif de défense des travailleurs étrangers saisonniers dans l'agriculture. |
Un
rapport secret
Un rapport accablant, daté de 2001 et demandé
par les ministères de l'Agriculture et de l'Emploi, démonte le mécanisme de
la surexploitation des travailleurs saisonniers maghrébins dans l'agriculture
intensive des Bouches-du-Rhône. «Cinq années ont passé mais le rapport est plus actuel que jamais, à bien
des égards la situation est pire
aujourd'hui», estime
le Codetras. Selon les deux inspecteurs généraux, auteurs du rapport, «il
est urgent de faire prévaloir la raison et une plus juste
application des règles de droit. Il s'agit de mieux raisonner les besoins
en main-d'oeuvre, notamment saisonnière, afin de ne recourir aux introductions
0Ml qu'en tant que de besoin et dans le respect des règles qui les régissent
et de l'ensemble du droit du travail».
www.codetras.org
L'Assiette
sale
À voir également sur le sujet: le long métrage
documentaire de Catherine Galodé et Denys Piningre, l'Assiette sale. Le film décrit la situation
des travailleurs saisonniers étrangers dans les Bouches-du-Rhône et met au
jour les mécanismes qui l'engendrent. Au passage, le film
décrit toute la chaîne de production, et dénonce l'agriculture intensive
et les méthodes de la grande distribution. «Il
fallait dénoncer la relation entre la surexploitation de
la force de travail des saisonniers étrangers dans l'agriculture productiviste
française et la pression implacable de la grande distribution sur les producteurs
de fruits et légumes C'est chose faite avec ce film», explique
Yann Fievet, vice-président de
www.galopinfil ms.net